Le débat sur la nationalité de M. Tidjane Thiam, président du PDCI-RDA, a été réactivé par la publication d’un décret français du 24 février 1987, lui accordant la nationalité française. Certains observateurs avancent que cette naturalisation aurait entraîné la perte de sa nationalité ivoirienne, en vertu de l’article 48 du code de la nationalité ivoirienne. Mardi 18 mars 2025, à Abidjan, Me Faustin Kouamé, avocat à la Cour et ancien garde des Sceaux, a pris la parole pour apporter un éclairage juridique sur cette question, affirmant que Tidjane Thiam demeure pleinement citoyen ivoirien.
L’Article 48 du Code de la Nationalité
Selon Me Kouamé, l’article 48 du Code de la nationalité stipule que « perd la nationalité ivoirienne, l’Ivoirien majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère ou qui déclare reconnaître une telle nationalité ». Cependant, il précise que cette perte est subordonnée à une autorisation gouvernementale par décret. En pratique, depuis l’indépendance, aucun gouvernement ivoirien n’a pris un tel décret pour acter la perte de nationalité d’un citoyen ayant acquis une autre nationalité. Cela signifie que Tidjane Thiam, bien qu’ayant obtenu la nationalité française, n’a jamais perdu sa nationalité ivoirienne, faute de décret confirmant cette décision.
La Doctrine Houphouët-Boigny et la Protection de la Nationalité Ivoirienne
Me Faustin Kouamé rappelle que le premier président de la Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny, a adopté une politique de protection de la nationalité ivoirienne. Il a notamment facilité l’accès à la nationalité pour de nombreux étrangers, tout en veillant à ce que les citoyens ivoiriens ne perdent pas la leur injustement.
Ainsi, aucun des gouvernements successifs n’a adopté de décret retirant la nationalité ivoirienne à ceux qui ont acquis une seconde nationalité, maintenant ainsi une tradition de « passivité réglementaire » sur cette question.
L’Impact de la Convention de New York sur l’Apatridie
Un autre argument juridique avancé repose sur la ratification, par la Côte d’Ivoire, de la Convention de New York du 28 septembre 1954 sur l’apatridie. Ratifiée en avril 2023, cette convention interdit aux États signataires de créer des apatrides. Ainsi, l’application stricte de l’article 48 du Code de la nationalité ivoirienne pourrait entrer en contradiction avec les engagements internationaux de la Côte d’Ivoire. Dès lors, toute tentative de déchoir un citoyen de sa nationalité ivoirienne sur cette base pourrait être juridiquement contestée.
La Notion de « Possession d’État de Nationalité »
Enfin, Me Kouamé rappelle que la jurisprudence internationale s’attache à la « possession d’état de nationalité » pour déterminer l’appartenance effective d’un individu à un pays. Cette notion repose sur trois critères :
- Le Nomen : le nom porté et reconnu par la communauté nationale,
- Le Tractatus : la manière dont l’individu est traité par l’État concerné,
- Le Fama : la réputation et la reconnaissance sociale en tant que citoyen.
Or, Tidjane Thiam a été ministre en Côte d’Ivoire, directeur du BNETD et n’a jamais renoncé à sa nationalité ivoirienne. Son appartenance à la nation ivoirienne ne saurait être remise en cause.
Un Faux Débat ?
Au regard des éléments juridiques exposés par Me Faustin Kouamé, il apparaît que Tidjane Thiam conserve pleinement sa nationalité ivoirienne. Toute remise en cause de la nationalité de M. Thiam relève davantage d’une controverse politique que d’un véritable enjeu juridique. Alors que l’élection présidentielle approche, Me Faustin Kouamé appelle à un débat de fond sur les enjeux du pays, plutôt que de s’attarder sur des querelles juridiques sans fondement.
« Si nous avons des difficultés à bien circuler sur un boulevard bitumé, ce n’est pas sur une route non bitumée que nous pourrions mieux circuler pendant la nuit », conclut-il avec une métaphore appelant à la sagesse et à l’essentiel.